lulli\'s dreams

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la place (texte à contraintes)

Il y avait foule sur la place. Ça se serrait, s'agglomérait, se répandait, se mouvait, se dandinait… Le monde faisait masse et gueulait, riait, piaillait, hurlait, tirait, poussait, chahutait… Sur la place, ça n'était plus supportable, entre les étales du marché, les poussettes à trois étages et plate-forme, les gamins en culotte courte et les femmes excédées, les alcoolos braillards, le curé désenchanté et la dame de Siergons, le père Foulpein, le môme à sa vieille tante et tous les touristes attirés par le festival… C'était tout simplement insupportable, on n'y respirait pas et il n'est pas nécessaire de le dire: on ne faisait que passer en tentant de fuir le gros de la foule houleuse. Le festival, c'était notre déveine mais les commerçants s'enrichissaient ; la ville était en liesse, contente de ces aberrations à l'énergie débordante… A croire que c'était Noël en plein août, la neige et les cierges en moins. Pour l'occasion, on avait pris soin de verdir la place en lui ajoutant de grands arbres fruitiers qui auraient été bien en mal de survivre à l'hiver mais qui donnaient l'impression d'un climat clément… Il fallait donc aussi contourner leur bac immense, ce qui ajoutait à la cacophonie existante. Toute la journée fut horrible, insensée, faisant de nos habitudes des haillons honteux qu'il fallait cacher du regard des fraîchement débarqués. Le bar de l'Apéro Joyeux était fermé, rideau de fer baissé pour mettre à l'honneur le bar de Laplace qui pouvait passer pour une brasserie et où on ne se sentait pas chez soi puisqu'on ne pouvait pas s'accouder au bar à proprement parlé, le lieu ne s'y prêtant pas.

Toute la ville avait été remaniée par notre maire qui pensait pouvoir faire, enfin, reconnaître sa commune comme étant un petit paradis où il ferait bon vivre, un havre pour vacanciers et retraités… On n'était pas franchement ravis mais on ne nous a pas demandé notre avis, on a dû passer les vaches au jet d'eau et nettoyer nos jardinets, c'est limite si on ne nous a pas demandé de tuer nos coqs ! Mais vous comprenez, c'est pour la fête, pour la fête vous mettrez bien un peu de votre énergie ? Un peu de votre argent ? Un peu de votre temps ? Bien sûr, il n'y a pas d'obligation… toutefois… vous savez fort bien que nous avons besoin de terrains constructibles… votre champ est fort bien placé… Et tout en sourire, et allons-y gaiement ! C'était pour la bonne cause, on ne devait pas faire la gueule mais être heureux ! Avoir au moins une fois dans sa vie l'air heureux… Vous l'aimez votre commune ? Alors prouvez-le ! Vous ne l'aimez pas ? Laissez donc la place ! Un nouvel air devait s'ouvrir et redonner sa jeunesse à notre patelin de cambrousse. Fallait juste que tout se passe bien samedi, juste ça, rien de plus. Un week-end, c'est pas la mer à boire, il fera beau et tout ira bien, pour une fois ! Et ça sera la fête de l'école deux semaines plut tôt mais bon, les petits se débrouilleront bien ! Et puis, si on a des fruits mûrs, on les vend surtout pas ; on les offres à la ville qui les distribuera aux enfants et aux jolies filles !
Vaste programme pour un petit festival de musique… Rêve en Scène… A se demander si la ville savait ce que ce nom cachait, Rêve en Scène… On emmènera les enfants, les bébés, les vieux de l'hospice voisin et puis… On leur apprendra la vie, la drogue, le bruit… Le maire avait soi-disant trouvé la musique géniale et abordable ; il y aurait une star qui serait là, elle l'avait promis, en fin de nuit… le tout dans le champ de Pédro, qui tirait la tronche mais qui le lendemain, se serait évanoui devant le désastre si les choses s'étaient déroulées comme prévu.

Les types de Rêve en Scène avaient tout bien préparé et étaient superbement organisés, rien à en redire, des professionnels sachant comment gérer leur affaire, en montant le son au maximum et en emmenant avec eux toute leur troupe de rêveurs qui, habitués, étaient capable de dormir au milieu de ce boucan intenable. A l'heure du début, une foule se massait donc aux portes du village, rejoignant le pré en prenant le temps et en rigolant. Tout le village y allait de plus ou moins bon cœur, on était que peu à rester chez soi, c'était pas bien vu. La population était bien plus jeune que le maire l'avait imaginé, il soupira et se résigna, il s'était trompé mais où ? Ça, il ne voyait pas. Pour lui une rêve-partie, c'était sans doute un endroit de mort violente qui ne pouvait pas venir jusqu'à sa porte… Non, il n'y avait pas pensé, pas pensé du tout… la musique électro, c'était marrant, ça changeait un peu, non vraiment, il ne l'avait pas vu venir, le con ! Les vieux allaient avoir la peur de leur vie, ils pensaient se trouver dans une guinguette du bon vieux temps qui n'existe que dans leurs délires séniles et les voilà emmenés de force dans un lieu de débauche et de débâcle. On s'en serait bien passé mais en même temps, c'était drôle à voir : les petits tous yeux ouverts ; les parents ne sachant plus sur quel pied fuir ; le maire interloqué ; le curé priant tous les saints du ciel et des enfers ; les jeunes trouvant ça démentiel ; les fillettes se faisant draguer par les DJ ; les musiciens contents, leurs potes aussi. Vous pensez ! Ils avaient été accueillis comme des rois, ceux qui se faisaient jeter d'absolument partout ! On a même vu une vieille totalement barrée danser comme une furie sur ces rythmes indescriptibles. De la franche rigolade. Enfin, le maire n'attendait plus que la Star du show pour plier bagage ; il l'attendait du coin de l'œil, inquiet, de plus en plus. Il finit par envoyer un émissaire, les parents et leurs jeunes enfants ayant déserté, les vieux étant retournés dans leur car, les autres ayant pris sur eux de fuir, seuls quelques jeunes indisciplinés restèrent sur place, et grand bien leur fasse ! Le maire devenait de plus en plus livide… Son émissaire, il l'avait pas vraiment choisi ; la Jacqueline passait par là, c'est donc elle qui s'y collerait ! D'un pas franc, elle partit vers le village voir si la star n'y était pas, la musique battait son plein, les gamins hésitaient entre prendre de l'extasie pour faire comme les grands ou écouter sagement en draguant la grande Hélène qui elle n'avait d'yeux que pour l'un des DJ totalement stone.

Jacqueline marchait vivement, pressée que sa mission soit finie, que tout rentre dans l'ordre, elle ne pensait pas tomber sur un tel os ! Elle avait eu que des crasses dans sa vie, au moins, là elle n’y était pour rien même si on la voyait comme un oiseau de mauvais augure… Elle revint plus vite qu'elle n'était partie, haletante, respirant mal, au bord de la crise de larmes et de l'effondrement, incapable de parler de façon cohérente. En dehors des musiciens et de quelques dormeurs, tout le monde se retourna vers l'arrivante, et tout le monde eut peur, même ceux qui n'étaient pas du village. La musique parut lointaine et irréelle bien que vecteur d'accélération cardiaque. Le silence se fit dans l'assistance, toute tendue vers Jacqueline, pantelante et tremblante. D'un doigt elle désigna le village, incapable de nommer ce qu'elle y avait vu qui l'avait paniquée. Alors, sans rien dire, d’un seul mouvement, ils se remirent en marche, comme aimantés par le village, impatients et peureux à la fois.


28/12/2009
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