lulli\'s dreams

lulli\'s dreams

l'âme ou le désir de voyage

Quand j'étouffe dans mon deux-pièces, que mes collègues de bureau m'agacent et que ma mère me harcèle parce que je ne vais pas la voir, quand tout va mal, je me mets à rêver de voyages... mais il faut toujours que mon âme intervienne.



"J'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

- Pourquoi ?

- Pour voir ma peau devenir mate. Pour me baigner dans des eaux chaudes en observant des poissons multicolores et des barrières  de corail. Pour découvrir d'autres habitudes, goûter les noix de coco et m'abriter sous les palmiers lorsque le soleil est au zénith.

- Ta peau ne sera pas brune, mais rouge vif et elle pèlera. Il est merveilleux de se baigner seul, seulement vous serez des dizaines à effrayer les poissons. Les noix de coco fraîches sont délicieuses mais oublie la sieste à l'ombre des palmiers : les fruits mûrs se fracasseront sur ta pauvre tête.


- J'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

- Pourquoi ?

- Pour regarder passer les oiseaux marins, sentir le clapotis de l'eau sous le navire. Je humerais l'air salé, j'observerais cet océan bleu vert, tout calme.

- Calme ? As-tu pensé aux tempêtes qui retourneront ta coque de noix, lorsque la mer se déchaînera ? Que feras-tu, perdu dans le Pacifique ? Tu appelleras ta mère et tu prieras la sainte Vierge pour qu'advienne un miracle. Et si la mer se calme, ne compte pas sur les oiseaux mon amie, ils ne te suivront pas si loin des côtes.


- J'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

- Pourquoi ?

- Pour m'installer dans des pubs à l'ancienne, y regarder les habitués accoudés au comptoir en bois sculpté. Pour boire les meilleures bières brassées et manger des fish and chips qui laissent les doigts délicieusement poisseux. Pour être sur une île bien que démesurée.

- Tes pubs seront opaques, tu ne distingueras que des lumières tremblotantes perdues dans la fumée  des cigarettes et toi qui ne fumes pas, en supporteras-tu l'odeur infecte ? Les bières te feront tourner la tête, tu le sais bien.


- J'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

-  Pourquoi ?

- Pour voir se refléter dans la lagune des silhouettes bariolées, des masques coquins ou tristes coiffés de chapeaux à plumes. Je voudrais danser, méancolique, avec des montreurs d'ours. Je deviendrais autre sans craindre de me perdre. Je rêverais.

- Tu rêves déjà, tu ne seras pas la seule à venir regarder ce carnaval, Venise perd son âme sous le tourisme florissant. Les costumes sont fabriquées en série et les masques sont laids. Ceux qui les portent ignorent ce dont parlent les tissus à losanges et les dentelles délicates : Arlequin et Poilichinelle en pleurent de tristesse.


- J 'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

- Pourquoi ?

- Pour ressembler à une fourmi. Je voudrais me tordre le cou pour apercevoir la fin des immeubles dans les nuages. Pour avoir le vertige en haut des monuments. Pour aller à Ellis-Island où sont passés, autrefois, certains membres de ma famille : leur nom y est gravé sur le mur de métal courbe. Je vois déjà les panneaux publicitaires, gigantesques, clignoter aux façades des immeubles.

-  Tu n'es pas une fourmi et puis je croyais que tu détestais la publicité ? Tu te perdras dans les rues numérotées, toi qui connais à peine ton propre quartier. Le soleil se fraie difficilement un chemin entre les tours. Il fait très chaud. Ou très froid. Le bruit est incessant, tu ne le supporteras pas. Ellis-Island ne ressemble plus au film de Perec. C'est un musée aseptisé, tu n'y sentiras rien. Et puis, de toute façon, la ville est en deuil.


- J'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

-  Pourquoi ?


- Pour avoir chaud et vivre dans une case. Pour contempler l'herbe brune de la savanne où des zèbres, des lions et des oiseaux cohabitent. Où l'ombre est un trésor inestimable. Je voudrais regarder paître les vaches paisibles et maigres autour des villages d'où montent le son des tambours et des chants. Pour deviner, dans la lumière d'un feu de joie, les corps fièrement peints.

- Toi qui as les piqûres en horreur, comment supporteras-tu les multiples vaccins qui te protègeront des maladies ? Une fois là-bas, la chaleur du jour t'assaillera, le froid de la nuit te glacera. Et si par hasard tu croises un serpent ou une mygale, que feras-tu, toi qui as peur de ton ombre ? Pour voir des animaux sauvages, tu ferais mieux d'aller au zoo de Vincennes, au rythme où les hommes les exterminent il n'en restera bientôt plus un seul.


- J'aimerais partir loin d'ici, ailleurs.

- Pourquoi ?


- Pour voir l'infini. Pour sentir crisser la neige sous mes bottes fourrées. Pour que six chiens me traînent derrière eux, infatigables. Pour être accueillie par des Inuits et me glisser dans un igloo comme dans un ventre chaud et douillet. Pour vivre six mois de nuit et six autres de jour. Pour voir des aurores boréales et rire aux éclats dans un paysage blanc et feutré. Pour paraître énorme et imposante sous dix couches de vêtements.

- (L'âme rit)  Tu penses que c'est beau le Groënland, c'est cela ? Tu écouteras le silence vide et froid. Tu couperas ton orteil, il aura gelé. Et si tu arrives chez les Inuits, crois-tu que tu seras la bienvenue, une bouche de plus à nourrir et tu ne sais même pas chasser. De toute façon, il n'y a plus d'igloos et les derniers Inuits ont la télévision.

- Je comprends, âme, méchante ! Tu es mon  mauvais ange. Tu ne veux pas que je quitte ma vie monotone. Tu veux m'enfermer, me punir, mais de quoi ? Et si je te dis qu'il n'y a pas d'alternative : je pars ou je meurs, que réponds-tu, vilaine ?"


L'âme ne répond pas.



12/01/2008
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 5 autres membres